La kératite amibienne est une infection rare mais grave de la cornée causée par des amibes libres. Ces micro-organismes unicellulaires se nourrissent des tissus de l’œil et peuvent entraîner une détérioration rapide de la vision.
Bien que cette pathologie ne touche qu’un faible pourcentage de la population, il est essentiel de la détecter et de la traiter précocement afin d’éviter des lésions cornéennes irréversibles. Cet article détaille les causes, les symptômes, les moyens de diagnostics et les traitements actuels de la kératite amibienne.
Définition et généralités
La kératite est une inflammation de la cornée, la membrane transparente située à l’avant de l’œil. Lorsqu’elle est causée par des amibes, on parle plus spécifiquement de kératite amibienne.
Cette infection est due à la présence d’amibes libres du genre Acanthamoeba. Ces protozoaires unicellulaires se trouvent naturellement dans l’eau douce, le sol et l’air. Ils ne sont généralement pas pathogènes, mais peuvent le devenir lorsqu’ils entrent en contact avec l’œil.
On distingue deux types de kératite amibienne :
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La kératite amibienne granuleuse : la plus fréquente, due au port de lentilles de contact contaminées.
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La kératite amibienne infiltrante : plus rare, survient chez des personnes immunodéprimées ou après une blessure traumatique de la cornée.
La kératite amibienne représente environ 2% de l’ensemble des kératites dans les pays industrialisés. Sa prévalence est estimée entre 0,01 et 1,65 cas pour 10 000 porteurs de lentilles de contact.
Causes et facteurs de risque
Plusieurs facteurs favorisent le développement d’une kératite amibienne :
Le port de lentilles de contact
C’est le facteur de risque principal, impliqué dans plus de 90% des cas. Les lentilles contaminées constituent un milieu propice à la prolifération des amibes et un moyen d’introduction dans l’œil.
Le risque augmente avec :
- Le port prolongé des lentilles (pendant la nuit ou en continue).
- Des lentilles mal désinfectées ou un non-respect des règles d’hygiène.
- L’utilisation de lentilles éponges ou d’eau de rinçage contaminée.
- Des traumatismes de la cornée liés aux lentilles.
L’immunodépression
Elle favorise le passage des amibes sous forme invasive dans les tissus oculaires. Les personnes à risque sont :
- Les patients HIV positifs.
- Les greffés sous traitements immunosuppresseurs.
- Les patients sous chimiothérapie ou corticothérapie.
Les traumatismes cornéens
Ils constitue une porte d’entrée pour la contamination :
- Plaies, ulcères ou lésions de la cornée.
- Chirurgies oculaires (LASIK).
- Brûlures chimiques ou thermiques.
Autres facteurs
- L’exposition professionnelle (agriculteurs, jardiniers, pisciniers).
- Le climat chaud et humide.
- L’usage d’eau de puits, lacustre ou thermale.
- L’antécédent de kératite amibienne.
Symptômes caractéristiques
Les signes cliniques apparaissent généralement 2 à 7 jours après la contamination initiale. Ils comprennent :
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Douleur oculaire : c’est souvent le premier symptôme. Une sensation de corps étranger, de brûlure, des démangeaisons intenses. La douleur est accentuée par la lumière.
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Larmoiement excessif
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Rougeur oculaire
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Photophobie : hypersensibilité à la lumière.
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Baisse d’acuité visuelle : vision trouble, sensation de brouillard.
L’examen à la lampe à fente met en évidence :
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Un infiltrat stromal : lésion blanchâtre dans la cornée.
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Un anneau infiltrant périphérique : en cas de kératite infiltrante.
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Des ponctuations épithéliales.
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Une néovascularisation : formation de nouveaux vaisseaux sanguins.
En l’absence de traitement, des lésions profondes apparaissent en 2 à 3 semaines :
- Infiltrats diffus.
- Ulcères cornéens.
- Œdème cornéen.
- Formation de kystes et d’abcès.
Ces complications entraînent une baisse d’acuité visuelle sévère, des douleurs intenses, et à terme un risque de perforation oculaire.
Diagnostic de la kératite amibienne
Le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments cliniques, mais nécessite une confirmation en laboratoire.
Examen à la lampe à fente
Il met en évidence des lésions évocatrices (infiltrats, ulcères). L’aspect n’est cependant pas spécifique et peut évoquer d’autres infections (bactériennes, fongiques).
Grattage cornéen
On réalise un prélèvement de cellules au niveau des lésions suspectes. L’examen au microscope optique avec coloration peut montrer la présence d’amibes. Mais la sensibilité est faible (50%).
Culture cellulaire
La mise en culture des prélèvements sur un milieu adapté permet d’isoler et d’identifier précisément la souche d’amibe en cause. C’est la technique de référence, mais elle nécessite 7 à 10 jours.
Détection d’antigènes
Des techniques immuno-fluorescentes permettent de détecter la présence d’antigènes amibiens directement sur les prélèvements. Le résultat est obtenu en quelques heures.
Microscopie confocale in vivo
Cet examen non invasif visualise les couches profondes de la cornée. Il peut montrer des kystes amibiens caractéristiques.
Biopsie cornéenne
En cas de forte suspicion et si les autres examens sont négatifs, une biopsie transfixiante peut permettre de prélever des amibes dans le stroma profond.
Traitements de la kératite amibienne
Le traitement associe des collyres antiseptiques et antimicrobiens pour éliminer l’infection, avec une surveillance ophtalmologique rapprochée.
Antiseptiques
Ils agissent en détruisant les amibes :
- Chlorhexidine : collyre le plus utilisé.
- PHMB (polyhexaméthylène biguanide) : alternance avec la chlorhexidine pour éviter les résistances.
- Hexamidine : à base de diisétionate d'hexamidine.
Ils sont instillés initialement toutes les heures (jour et nuit) pendant 2 à 3 jours, puis espacés progressivement.
Antibiotiques
Ils traitent la composante bactérienne associée :
- Collyres à base de propamidine : Brolene, Oculotect.
- Pommades antibiotiques : tobramycine, gentamicine.
Antifongiques
Ils combattent la surinfection fongique fréquente :
- Éconazole ou natamycine en collyre.
- Voriconazole ou posaconazole par voie orale.
Corticostéroïdes
Ils sont indiqués en cas d’inflammation oculaire intense, après 2-3 semaines de traitement antimicrobien bien conduit.
Autres traitements
- Cross-linking : renforcement de la cornée par des rayons UV et de la riboflavine.
- Greffe transfixiante de cornée : en cas d’évolution défavorable ou de cornée très endommagée.
La durée totale du traitement est de 6 à 12 semaines en moyenne. Une hospitalisation initiale est souvent nécessaire pour surveiller l’évolution.
Prévention de la kératite amibienne
Des mesures simples permettent de prévenir cette infection :
- Respecter strictement les règles d’entretien, de désinfection et de remplacement des lentilles de contact.
- Utiliser un sérum physiologique stérile pour rincer les lentilles.
- Éviter le port de lentilles lors d’activités aquatiques (piscine, lac, mer).
- Se laver soigneusement les mains avant toute manipulation des lentilles.
- Consulter rapidement en cas de signes d’irritation ou de lésion de la cornée.
Conclusion
La kératite amibienne est une pathologie oculaire grave, capable d’entraîner en quelques semaines une cécité définitive. Sa survenue est favorisée par le port de lentilles de contact, surtout en cas de non-respect des règles d’hygiène et d’entretien.
Un diagnostic précoce grâce à un faisceau d’arguments cliniques et paracliniques est essentiel pour instaurer rapidement un traitement antiseptique et antimicrobien. L’évolution sous traitement est généralement favorable, permettant d’éviter les complications visuelles sévères.
La prévention repose quant à elle sur des mesures simples accessibles à tous les porteurs de lentilles.
Sources:
- Société Française d’Ophtalmologie. Kératite amibienne.
- HAS. Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) : Kératite amibienne. Juin 2019.
- Caudron J. Kératite amibienne : diagnostic et traitement. Journal Français d'Ophtalmologie. 2015.
- Dart JKG et al. Amibian Keratitis Working Group. Strategies for the diagnosis and treatment of amibian keratitis. Ophthalmology. 2008.
- Tu EY. Understanding and Managing Amibian Keratitis. EyeNet Magazine. 2018.